L’Account based ticketing (ABT) : une vraie révolution dans la vie de l’usager?

Nous avons pris l’habitude de voyager en présentant un support qui contenait notre titre. Que ce soit sous la forme d’un ticket papier, d’un ticket magnétique, d’une carte/billet sans contact ou même dématérialisé sur son smartphone, le principe reste le même : on achète un titre de transport qui est stocké sur un support que l’on présente au valideur. C’est le modèle « Card centric » ou « Media centric » (Media Centric Ticketing – MCT).

Depuis quelques années, un nouveau système a fait son apparition : l’Account Based Ticketing (ABT), également appelé « Server based » ou « ID based ». La nouveauté apportée par l’ABT : le support ne va plus contenir votre titre de transport mais un identifiant utilisé pour interroger un système billettique distant contenant vos droits de voyager.

S’agit-il d’une révolution pour les usagers et les opérateurs ? Ce nouveau modèle deviendra-t-il la panacée de la mobilité ? Quelques éléments de réponse avec notre expert Lionel Lepoutre.

Comment fonctionne l’ABT ?

Actuellement, lorsqu’un usager présente son titre au valideur, ce dernier vérifie que le titre est valide et vous informe de votre droit ou non de voyager.

Avec l’ABT, le voyageur possède désormais un compte sur un serveur distant qui lui permet soit de stocker ses titres/abonnements, soit de déclarer un moyen de paiement. C’est la présence d’un de ces deux éléments qui permettra au système de valider le « droit à voyager ». Ainsi, lorsque l’on présente son support au valideur, c’est l’identifiant porté par ce dernier qui est lu et qui interroge le serveur distant pour autoriser ou non le voyage.

Ainsi, lorsque l’on lit parfois que l’intelligence est déportée du valideur pour être transposé au serveur billettique, ce n’est pas tout à fait exact : il garde un traitement local mais léger. Le grand intérêt de ce système ? Les valideurs ont besoin de beaucoup moins de capacités de traitement et sont donc bien moins chers.

Pourquoi l’ABT ?

Alors que le modèle MCT marche plutôt bien depuis des années, on peut légitimement se poser la question de l’intérêt du modèle ABT.

Un système moins cher ?

Comme évoqué précédemment, les traitements nécessaires sur le valideur sont moins gourmands et les équipements sont moins chers. De même, les cartes ne nécessitant pas de stockage de données complexes, elles seront également moins coûteuses. En fonction du réseau, on peut même envisager de remplacer le valideur par un smartphone équipé d’une application qui scanne un QR Code, ou l’utilisation d’applications grâce auxquelles le voyageur valide lui-même son titre depuis son smartphone.

Cependant, pour être complet, il faudrait avoir une vision de l’ensemble des coûts et notamment ceux liés à l’exploitation. Le stockage sur un serveur distant rend celui-ci particulièrement sensible. Les conditions d’hébergement, de sauvegarde, la perte d’exploitation en cas d’indisponibilité temporaire doivent rentrer en considération dans l’évaluation financière.

Un système plus ouvert ?

Un des reproches que l’on fait généralement au MCT est son système « closed-loop ». La carte de transport, qui a apporté vitesse de validation et sécurisation des titres, restreint son utilisation au réseau de l’émetteur de la carte. Or les mobilités pendulaires se font de plus en plus entre « territoires billettiques » différents, ce qui implique souvent deux cartes. Les autorités doivent se mettre d’accord entre elles pour installer une interopérabilité non seulement tarifaire mais également de support (par exemple la carte PassPass dans les Hauts de France ou en Auvergne Rhône-Alpes). On ajoutera également à ce panel l’application Hoplink qui permet d’héberger des titres autres que celui de l’émetteur mais là encore, il faut que l’application soit sur la carte et que les valideurs soient compatibles.

L’ABT est lui dit « open-loop » c’est à dire qu’il faut pouvoir présenter un support contenant un identifiant qui permettra au système de retrouver votre compte de façon certaine.

Lorsque l’on présente un identifiant, le back-office doit pouvoir retrouver le compte afférent. Cependant, il faut s’assurer de l’unicité sur les deux réseaux de l’identifiant ou alors pouvoir porter plusieurs identifiants par réseaux.

De plus, ce système n’offre aucune gamme tarifaire conjointe. Si les réseaux souhaitent mettre en place une billettique ABT avec une interopérabilité, une concordance entre eux est nécessaire. Cette gouvernance doit englober l’ensemble des réseaux gérant ainsi le compte, la distribution d’un token unique et serait capable de faire le lien entre ce token et des identifiants locaux à chaque système. Cette gouvernance interopérerait donc l’offre billettique.

Une réponse à l’ouverture des mobilités ?

Au-delà de l’ouverture « territoriale » que l’on vient d’aborder, il convient aux Autorités Organisatrices de la Mobilité (AOM) de prendre en compte la complexification de l’écosystème. L’on peut représenter ainsi le passage de l’Autorité Organisatrice des Transports (AOT) à l’AOM :

Si l’on veut améliorer l’expérience usager et surtout inciter à l’utilisation combinée des différents modes, il faut pouvoir proposer une autre solution que l’inscription unitaire à chacun des services et la multiplication des supports. On peut trouver certains exemples où la carte de transport peut être utilisée pour des vélos en libre-service, notamment à Lyon où les stations vélo’v peuvent être utilisées avec des supports existants. Cependant, le scope étant de fait très restreint, des initiatives comme le « Compte mobilité » de Mulhouse sont très intéressantes.

Vers plus de flexibilité tarifaire

Avec le système MCT, un changement de la gamme tarifaire impose une modification sur l’ensemble des valideurs puisque ce sont ces derniers qui analysent le contenu. Dans un système ABT, c’est une nouvelle configuration à apporter au back-office billettique. Il n’y a donc plus de question à se poser sur le déploiement des terminaux, la gestion de l’éventuelle hétérogénéité de ces derniers ou même leur capacité à intégrer ces changements. Cela facilite l’exploitation et réduit les coûts de maintenance. La contrepartie : le niveau de disponibilité et de fiabilité du niveau système central doit être accru car un incident peut impacter tout le réseau.

La flexibilité de la gamme tarifaire peut dépasser le scope du seul transport public. En effet, le simple fait que les transactions remontent à un serveur distant permet d’élargir le système à d’autres services de mobilités (stationnement, vélo en libre-service, …) et aboutir à ce qu’on appelle les mobilités servicielles ou MaaS (Mobility as a Service). Mais, dans ce cas, de nouvelles contraintes surgissent comme les problématiques liées à la protection de la vie privée et aux préconisations de la CNIL (1).

L’arrivée de nouveaux acteurs

À la différence des systèmes billettiques classiques, où le panorama des acteurs est assez stable, de nombreux nouveaux acteurs émergent autour de l’ABT. Les systèmes ABT font la part belle aux sociétés informatiques qui ont l’habitude de gérer des systèmes informatiques sur la base de traitements en back-office et de traiter de gros volumes de transactions. Il y a également les startups qui, grâce à leur agilité et leur meilleure connaissance des technologies mobiles, ont pu proposer de nouveaux services innovants.

C’est grâce à ces deux typologies d’acteurs qu’ont pu émerger de nouvelles façons de voyager : auto validation depuis un smartphone, Open Payment en utilisant sa carte bancaire, ticket SMS… On se retrouve ainsi avec de nouvelles utilisations qui n’auraient pas pu être mises en place dans le modèle classique.

Pour comparer avec un autre secteur, on pourrait dire que les mobilités suivent une évolution similaire à celle qu’a pu connaître le monde bancaire, avec l’arrivée de nouveaux acteurs proposant de nouveaux services sans être des banques. A noter que ce mouvement se retrouve sur l’ensemble des services de mobilités : parkings, trottinettes libre-service…

Quelles sont les freins à l’ABT ?

Dans le cas d’un réseau où la billettique est en place, le frein est justement cette billettique. En d’autres termes, pourquoi prendre un risque alors que l’on connaît bien le système en place et qu’il y a eu des investissements assez conséquents au fil des ans ?

Et n’oublions pas que le système MCT a une grande force : la sécurisation du média. Les technologies comme Calypso ont rassuré les opérateurs sur le fait qu’une carte permettait de sécuriser les échanges. Les différentes implémentations de l’ABT vont devoir apporter les mêmes garanties. Au sujet de différentes implémentations, il faut également trouver celles qui pourront être utilisées par tous. Le caractère universel de la carte de transport est établi, ce qui n’est pas le cas pour les smartphones ou les cartes bancaires. Il y a donc une dimension comportementale forte à appréhender dans le déploiement de ces systèmes.

On a vu également qu’une des forces du système MCT est la possibilité de valider en direct le droit à voyager : en moins d’une seconde, le voyageur sait si son titre est, ou non, valide. On a vu que les listes colorées répondent à ce besoin, mais comment s’assurer d’une mise à jour suffisante de ces dernières ? Comment s’assurer que les informations du back-office pourront redescendre suffisamment vite ? La question se pose. Le pourcentage de fraude induite doit également être analysé. Quel pourcentage cela pourrait représenter et surtout pour quels montants ?

Enfin, si le serveur central est la force de l’ABT, il est également sa faiblesse. Comment rassurer une AOM sur le fait que ce back-office ne fera pas défaut ? Un back-office n’est malheureusement pas infaillible. La question de la confiance se pose donc non seulement sur la capacité du tiers à garantir un service régulier mais également à prévoir les solutions de contournement en cas de panne. Il faut probablement repenser les parades opérationnelles en situation d’incident en conséquence. 

Enfin, et peut-être même surtout, n’oublions pas que l’on ne part généralement pas d’une page blanche. Les systèmes billettiques déjà en place représentent des investissements conséquents, une connaissance des forces et faiblesses du système, des personnels formés sur ces systèmes… Mais cet historique ne doit pas bloquer toute tentative de passer à un autre modèle. La mise en place d’un système « hybride » est tout à fait envisageable en utilisant les architectures et équipements en place et en faisant évoluer les développements.

Ce qu’il faut retenir

Il n’est pas question ici de décider si un modèle est meilleur qu’un autre : chacun a ses avantages et inconvénients. Le choix doit se faire en prenant en compte un ensemble de paramètres : présence de l’existant, besoins fonctionnels, population cible, capacités d’investissement…

L’un n’exclut pas l’autre et, dans un premier temps, il ne faut pas hésiter à mixer les modèles. L’Open Payment, qui est une forme très particulière d’ABT, est un très bon complément à un système classique en place. On peut mettre en place du paiement à l’usage sur des infrastructures existantes.

SYSTRA possède à la fois l’expérience des systèmes MCT et des systèmes ABT. Nous saurons vous apporter des réponses adaptées à votre besoin, en toute impartialité.

1. https://www.cnil.fr/fr/teleservices-et-protection-de-la-vie-privee

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