Comment modéliser les nouvelles formes de mobilité ?

En synthèse :

  • L’essor des nouveaux services de mobilité reflète les transformations des modes de mobilité : flexibilité, usage versus possession, intermodalité, économie servicielle.
  • Les modèles classiques de prévision de trafic comportent des limites. La simulation multi-agents, en prenant en compte un certain nombre de caractéristiques liées à ces nouveaux services de mobilité, constitue une solution pour en prévoir plus finement les usages.
  • Mais l’utilisation de ces nouveaux modèles, qui sont complexes et nécessitent des temps de calcul beaucoup plus longs, doit découler d’une réflexion conjointe avec les Maîtrises d’Ouvrage, sur la base d’une analyse coût – avantages.

Avec les possibilités offertes par le numérique, le développement de nouveaux services de mobilité aux usagers s’est accéléré ces dernières années : vélo en libre-service, trottinettes électriques, co-voiturage… L’accès à ces services élargit la palette des solutions à leur disposition pour se déplacer, et participe ainsi à l’émergence de la mobilité dite servicielle et partagée, basée sur un usage du mode de transport décorrélé de sa possession.

Cette offre qui se diversifie annonce des changements profonds dans les pratiques de mobilité avec :

  • Les services de véhicules en libre-service (voitures, deux-roues motorisées, vélos, trottinettes – avec ou sans bornes) ;
  • Les services de transport à la demande (TAD) ;
  • Les services de transport autonome à la demande (AMoD – navettes autonomes, robot-taxis) ;
  • Les services de partage de véhicules (VTC) ;
  • Les services de partage de parcours (covoiturage).

Ces services ont chacun leur spécificité : pour des courtes ou longues distances, pour des trajets « porte-à-porte » ou « arrêt à arrêt », en zone urbaine ou peu dense. Mais ce qui les caractérise avant tout, c’est leur flexibilité.

La mobilité est de plus en plus déterminée par la demande des usagers. Elle est moins routinière, plus souple et moins contrainte par une offre de transport fixe. Dès lors, comment modéliser ces nouvelles formes de mobilité ? Comment prévoir leur évolution ? Comment donner les clés aux décideurs pour organiser les offres de services, souvent de nature privée, sur leur territoire ?

Les outils de modélisation classique sont-ils toujours pertinents ?

Les modèles de prévisions de trafic dits classiques sont en général des « modèles 4 étapes* » ou des modèles de choix simplifiés.

Ces modèles font face à plusieurs contraintes qui ne leur permettent pas d’appréhender les nouveaux services de mobilité dans leur globalité :

  • L’agrégation spatiale des déplacements ne permet pas la prise en compte fine des trajets sur des courtes distances, à moins d’un maillage très fin ;
  • Leur agrégation temporelle rend difficile l’estimation de la demande sur l’ensemble des périodes de la journée ;
  • Les déplacements successifs à partir du domicile ou les déplacements secondaires non liés au domicile sont moins bien décrits ;
  • Les déplacements multimodaux sont souvent négligés ;
  • Seuls les voyageurs sont modélisés, sans tenir compte des véhicules qui roulent à vide.

Jusqu’ici, le recours à des modélisations classiques a été encouragé en raison de la nature agrégée des données disponibles, et des limites des systèmes de traitement de l’information.

Cependant, l’amélioration continue des outils informatiques et des puissances de calculs permet aujourd’hui d’envisager la modélisation des déplacements à l’échelle de l’individu. Par ailleurs, les données disponibles pour le développement de ces modèles sont également de plus en plus nombreuses, ce qui en augmente l’efficacité.

Les nouvelles approches de modélisation des déplacements permettent ainsi de lever les limites des modèles classiques. En résultent toutefois d’une part une complexité croissante du modèle et, d’autre part, des temps de calcul beaucoup plus longs.

* Le modèle à quatre étapes est un schéma général classique des études de transport qui permet de prévoir la demande de transport en suivant quatre étapes : la génération des déplacements (combien de déplacements ?), la distribution des déplacements (pour quelle destination ?), le choix modal (avec quel mode ?) et l’affectation (en utilisant quel itinéraire ?).

Les simulations multi-agents au service des nouvelles mobilités

Parmi les nouvelles approches de modélisation, les Systèmes Multi-Agents (SMA) suscitent beaucoup d’intérêt.

Dans l’approche SMA, chaque objet (individu, véhicule, etc.) peut être suivi de façon individualisée. Cette approche permet de modéliser de manière explicite des processus individuels de prise de décision. Elle permet également de suivre des véhicules de manière désagrégée (spatio-temporelle) et d’en faire des entités autonomes. On peut ainsi modéliser tous les types de services de transport, notamment ceux qui nécessitent une gestion optimale de flotte.

L’approche SMA présente également d’autres atouts : elle permet de réaliser des simulations dynamiques et offre des perspectives d’analyse très larges, dépassant le cadre des systèmes de transport, en intégrant des modèles d’interaction avec l’utilisation du sol, des systèmes de mesure d’impacts sur l’environnement, ou des outils d’analyse économique régionale.

Néanmoins, il existe un prérequis de taille : la simulation SMA nécessite des données très fines en entrée sur l’utilisation des modes et sur les préférences des usagers. La dispersion de toutes les informations sur différents supports nécessite également un effort important en termes de traitement des données d’entrée. Par ailleurs, une puissance de calcul considérable est indispensable pour pouvoir simuler les déplacements de voyageurs à l’échelle d’une grande ville, dans laquelle circulent plusieurs millions de personnes.

Comment accompagner les territoires pour structurer l’offre de mobilité ?

Afin d’organiser l’offre de mobilité sur un territoire, aujourd’hui et dans les années à venir, il convient d’évaluer l’utilisation de chaque service, les choix des modes de transport et l’évolution attendue des usages.

Dans les faits, le choix de l’approche de modélisation va dépendre des caractéristiques du nouveau service, de ce que l’on souhaite modéliser et de la capacité du modèle à en tenir compte.

Le tableau ci-après dresse l’analyse comparative entre l’approche « modèle classique » versus « modèle agent », selon la nature du service à modéliser (co-voiturage, micro-mobilité partagée, VTC, robot-taxi ou navette autonome).

ModeModèle classique vs modèle agent
Co-voiturageLe traitement du covoiturage peut être développé de manière satisfaisante par les modèles classiques.

Micro-mobilitésLe traitement des micro-mobilités est mieux appréhendé par les simulations multi-agents qui prennent en compte la flexibilité du service. La mise en place d’une telle simulation reste néanmoins complexe et consommatrice de données.

VTCLe choix du type de modélisation des VTC dépend du niveau de détail recherché dans les résultats.

Robot-taxi, Navette autonome, Véhicule en libre-serviceLes simulations multi-agents permettront une prise en compte détaillée des robots-taxis ou véhicules autonomes alors qu’il est nécessaire de complexifier les modèles classiques avec de nouveaux modules pour une prise en compte adéquate.

À l’heure actuelle, les simulations multi-agents constituent l’approche dominante de modélisation des nouvelles mobilités dans le monde de la recherche. La simulation des déplacements à cette échelle microscopique (agent, voyageur, véhicule etc.) est pertinente pour étudier finement les impacts de nouvelles offres de transport de plus en plus individualisées.

Néanmoins, les données réellement disponibles ne sont pas toujours en adéquation avec la conception de telles simulations (volumes faibles dans les enquêtes entraînant des marges d’erreurs importantes, données de fréquentation commerciales et non publiques, base de données importantes et complexes à analyser…). Les temps de calcul qui en découlent ne permettent pas d’utiliser ces outils de manière pragmatique, en vue de multiplier tests et scénarios.

case study : mission pour airbus


Si les modèles SMA sont très puissants, ils nécessitent un fort investissement pour garantir la robustesse des résultats de sortie. C’est du moins ce que nous avons pu observer, dans le cadre d’une mission de conseil réalisée pour Airbus, portant sur la modélisation d’une offre de services de véhicules partagés volants (Urban Air Mobility), réalisée en 2019 avec le concours de l’université ETH de Zurich.

SYSTRA a modélisé l’offre de services de véhicules partagés volants à l’aide d’un modèle prix-temps, en s’appuyant sur des matrices issues d’un modèle 4 étapes de l’Ile de France. Cette approche a été comparée aux résultats issus de MatSim* .

La comparaison des volumes de flux tous modes entre départements franciliens issus du modèle quatre étapes de l’Ile de France et issus de MatSim montrent de réelles similarités. La comparaison des parts modales a montré la nécessité d’améliorer la calibration de MatSim avec les données issues de l’Enquête Ménage Déplacements, ce qui est très consommateur de temps.

Une fois calibré, le modèle 4 étapes de l’Ile-de-France peut être simulé en plusieurs heures alors que la simulation de MatSim se déroule sur plusieurs jours. Le modèle prix-temps, une fois paramétré est immédiat. Il est néanmoins très simplifié et ne propose qu’une approche partielle du problème.

*Plate-forme open source de simulation multi-agents.

pour conclure

Pour une collectivité ou un donneur d’ordre public, les manières d’appréhender les nouveaux services et le choix des outils doivent être pensés en fonction des données disponibles, de la capacité à acquérir des données complémentaires, et du temps à y consacrer afin de construire des modèles adaptés aux objectifs de l’étude. SYSTRA accompagne les maîtres d’ouvrage pour les aider à choisir les meilleures solutions, en fonction de leurs besoins.

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